Une fois n'est pas coutume , je met en ligne cet article parut sur le site acrimed.
Deux médias pour adolescents dans la campagne : une propagande inavouée ?
Mise en ligne : 3 avril 2007
par Pierre Bruno
Les médias destinés aux adolescents se distinguent-ils des médias dominants ? Ebauche de réponse par deux exemples.
La campagne présidentielle de 2007 est à l’origine de la création d’un site - Phosphore et le Mouv’ »]
- qui se donne pour but de présenter l’élection aux jeunes. Ce site,
comme son nom l’indique, est né de la collaboration entre le titre de
presse Phosphore et la radio Le Mouv’,
ainsi que de certains acteurs de l’éducation aux médias (le Clemi ou
Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information). Les
objectifs de ce site sont clairs :
« Parce
que cette élection présidentielle est la première à se jouer aussi sur
Internet, parce que le net est le média star des jeunes, Phosphore et Le Mouv’
créent ensemble un blog dédié à la présidentielle. Un espace pour
apprendre et exercer ses droits et devoirs de citoyens, pour comprendre
les enjeux de cette élection et le rôle des femmes et des hommes
politique » [1]. »
Pour
autant ce site et le numéro de la revue qui lui est consacré
présentent-ils une vision sinon objective du moins équilibrée de la
campagne actuelle ?
Dans la revue : La marginalisation de la gauche radicale
Le dossier de la revue Phosphore
porte principalement sur la question du droit de vote à 16 ans. Le
rejet de cette idée par la majorité des jeunes interrogés (68 %)
suscite des jugements contrastés des adultes intervenants dans la
revue. Si certains journalistes regrettent ce manque d’audace, la
plupart y voient au contraire le signe d’une saine maturité : « Vous
n’êtes ni apolitique, ni abstentionniste, (...) au contraire vous
prenez la politique trop au sérieux pour la laisser entre des mains
sans expérience. Trop d’engagement tue l’engagement ! » [2]
Le
corps du texte aborde toutefois un autre thème : celui des intentions
de vote. Le traitement en est plus instructif. La manière de présenter
les données dans l’article aboutit à une surévaluation des intentions
de vote en faveur de la gauche en privilégiant les chiffres des 16-17
ans (61%) alors que le score est moins bon pour la tranche d’âge
supérieure (53%) chez les 18-25 ans. De même, le journal peut écrire
triomphalement « Le Pen rejeté par les 16-17 ans »
(où il ne fait que 5%) alors qu’il aurait été tout aussi possible
d’écrire que le FN est le troisième parti chez les jeunes pris dans
leur globalité
Pourtant,
contrairement aux rhétoriques rodées de l’extrême droite, celle-ci
n’est pas particulièrement maltraitée. En effet, l’article a le mérite
de rappeler que « quand on décortique les résultats,
on réalise que pour tous les candidats, ce sont surtout les catégories
sociales, plus que l’âge, qui jouent dans la répartition des intentions
de vote » [3]. La conclusion est assez inattendue, voire tendancieuse : « Ainsi
avec 12%, Olivier Besancenot arrive en troisième position dans les
catégories sociales supérieures, tandis que les fils et filles
d’ouvriers plébiscitent Ségolène Royal, comme leurs parents » [4]
En
l’absence de toute donnée objective (on aimerait connaître par exemple
le score du PS chez les catégories sociales supérieures comme les
chiffres exacts du « plébiscite » de Ségolène Royal chez les ouvriers
et leurs enfants), la conclusion semble être que l’extrême gauche est
le choix des jeunes bourgeois, comme si le choix du parti socialiste
était authentiquement prolétarien. L’orientation du texte est d’autant
plus flagrante que si le vote FN est analysé (justifié ?) par le prisme
des logiques sociales (« Les jeunes ne sont pas encore
dans les problèmes d’emploi ou de logement, ils n’ont pas de message à
faire passer avec un vote Le Pen » [5]) ce type d’analyse n’est pas appliqué au vote d’extrême gauche.
Cette
orientation générale du numéro est confirmée, voire amplifiée par les
marges du texte, et essentiellement par les témoignages de jeunes
militants. L’équilibre paraît respecté : trois sont à droite, trois
sont à gauche. Mais plusieurs biais apparaissent bien vite. Le premier
porte sur le choix des personnes représentées. Surtout, si les
militants de droite se répartissent entre partis de gouvernement (UMP,
UDF) et extrême-droite (FN), les trois militants de gauche représentent
les diverses composantes de la gauche de gouvernement : PS, PCF et
Verts. La « gauche antilibérale » ou « radicale » (comme on voudra...)
n’est pas représentée.
Le
second biais ressort de la lecture des interventions des jeunes. Les
trois discours de droite présentent les diverses facettes de cette
tendance politique, avec une réduction (et cela est significatif) du
fossé entre un Front National en quête de respectabilité (et qui est le
seul des six à aborder la question de l’emploi) et un UMP très
décomplexé ou plus précisément prêt à « briser les tabous » (surtout
sur la question de l’immigration). Le discours des jeunes militantes du
PS et du PCF est lui différent. D’une part ce sont les seules dont le
profil est socialement marqué : la première est scolarisée au lycée
Henri IV à Paris, la seconde est la fille d’une députée européenne.
Mais surtout, dans leur discours, elles se caractérisent plus par leur
sens des responsabilités que par leur volonté de rupture avec l’ordre
économique établi et se démarquent plus de la gauche radicale que de la
droite de gouvernement. Pour la jeune communiste : « Je
suis allée chez les jeunes socialistes, chez les jeunes communistes
révolutionnaires, puis chez les jeunes communistes, le juste milieu ! » [6] Quant à la militante PS qui a choisi ce parti parce qu’ « ils ne sont pas extrêmes », elle hésite à accorder le droit de vote aux jeunes de 16 ans car « parfois à cet âge, on est un ado en pleine crise et ce serait un cadeau aux extrêmes » [7]
Sur le site : Une vision partisane ?
L’analyse du site confirme-t-elle la lecture du numéro de la seule revue Phosphore ?
En tout cas, la présentation de la « blogcampagne des 15-25 »
(sélection de blogs de jeunes politisés) est tout aussi peu
représentative des orientations politiques de l’ensemble de la
jeunesse. L’extrême gauche reste occultée (comme l’extrême droite
d’ailleurs) et la balance, plutôt favorable à la gauche de gouvernement
dans la revue Phosphore, est ici bien plus marquée à droite (60 % des sites).
Si
l’on prend pour repères - non pour le valider, mais à des fins de
comparaison - les résultats du sondage d’intentions de vote réalisé
pour Phosphore [8],
la sous représentation de la gauche antilibérale dans le Magazine et
sur le site est manifeste (avec toutes les précautions nécessaires à
l’évaluation de ce type de sondages...)
Les inégales représentations des tendances politiques selon les supports
- Sondage = Intentions de vote.
- Editos publiés sur le site : favorables/défavorables. [9]
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Sondage |
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Témoignages
(Phosphore) |
|
Blogs
(Site) |
|
Editos
(Site)
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Ext. Droite |
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11% |
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16% |
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0% |
|
0/1 |
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|
UMP |
|
26% |
|
16% |
|
30% |
|
0/2 |
|
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|
Autre droite : UDF... |
|
7% |
|
16% |
|
30% |
|
1/0 |
|
|
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|
|
|
|
|
|
PS |
|
37% |
|
16% |
|
23% |
|
5/1 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Verts, PCF... |
|
7% |
|
32% |
|
18% |
|
0/0 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
LO, LCR... |
|
12% |
|
0% |
|
0% |
|
0/1 |
Si
l’on regarde les éditos écrits par des jeunes très souvent impliqués
dans la presse lycéenne, et même si toute typologie ne peut être, dans
ce cas, qu’approximative, il est possible de regrouper les 32 textes
publiés en janvier en février [10] en quatre grandes catégories :
- les questions sociales et citoyennes (l’emploi, l’exclusion, l’impôt...)
- la politique en question : doit-on y croire ou pas ? Faut-il s’engager ? Sont-ils tous pourris ?
- le microcosme politico-médiatique : la bipolarisation est-elle
justifiée ? Quel est le rôle des médias ? Les sondages sont-ils
fiables ?
- les candidats et partis politiques : déclaration en faveur ou en opposition à un parti (ici plus précisément à un candidat)
Premier
constat : le premier registre, le plus politique peut-être au sens
étymologique du terme, est le moins abordé (trois éditos). Et la
question du microcosme politique ne l’est guère plus (cinq éditos :
deux sur le traitement de la campagne par les médias, un sur les
sondages et deux sur la question de la bipolarisation, l’un opposé et
l’autre favorable).
Le
gros des articles se concentre sur deux des thèmes possibles et si l’on
subdivise les 32 éditos en deux parties chronologiques d’importance
égale, leur répartition n’apparaît guère aléatoire. D’une part les
thèmes les moins traités perdent progressivement de leur importance.
Par ailleurs le thème prédominant évolue.
|
Questions sociales |
La politique |
Le microcosme |
Candidats et partis |
Editos 1 à 16 |
2 |
8 |
4 |
2 |
Editos 17 à 32 |
1 |
4 |
1 |
10 |
Dans un premier temps, la majorité des éditos s’inscrit dans un discours de déploration de la perte de sens du politique :
- « Vous allez me dire que je suis cynique et
injuste. Peut-être... Mais comment ne pas l’être ? Je ferai confiance à
ceux qui ont la prétention de nous gouverner le jour où la corruption
cessera d’être punie par l’impunité dans les milieux politiques. Le
jour où les droits de l’enfant et le rôle de la France auprès des pays
du tiers monde seront évoqués dans les campagnes électorales. Le jour
où les candidats diront « Je ferai tout mon possible pour... » et non
pas « je vous promets que... », parce qu’on n’est jamais sûr de rien. » [11] »
- « Comme
des cadeaux bien emballés, dont on ne connaît véritablement le contenu,
les programmes des candidats me paraissent merveilleux et prometteurs
mais si je me penche sur le cadeau en lui, au delà des belles paroles
et des jolies promesses, je reste sceptique. Certes, il est sûrement
extrêmement difficile de diriger un pays mais pourquoi faire promettre
dans le vide ? Pour la gloire, l’argent, le prestige ? Je n’ai aucune
idée précise sur le sujet mais un coup de balai me paraît nécessaire
pour avoir une réelle confiance en la politique. » [12]
D’autres
articles plus rares (un quart de l’ensemble) s’inscrivent dans un
mouvement contraire de revalorisation de l’engagement électoral :
« Mais
en attendant cette révolution politique démocratique, il est de notre
devoir à nous jeunes de prendre part dans cette campagne et de
sensibiliser les sceptiques sur le bien fait du bulletin de vote. La
politique peut changer notre vie quotidienne. Imposons-nous et
votons !!! » [13]
Les
articles portant sur des candidats précis sont plus rares et portent
sur deux candidats alors potentiels et considérés comme « mineurs »,
mais tous deux issus de la société civile : Nicolas Hulot (présenté
comme sympathique) et José Bové (présenté de manière bien moins
positive) :
« Voir
M. Bové à l’Elysée serait comme faire un remake d’ « Un indien dans la
ville » (...) En y pensant, la France de José donnerait une jolie
recette : une dose de verdure, de pâturages à perte de vue, une petite
cuillère de vaches, une autre de chèvres, une pincée de fermes... » [14]
Dans la seconde moitié du corpus, la critique du politique continue :
« C’est
ça la politique ? Politique de bac à sable, du genre « Je vais le dire
à maman ». Je comprends presque les abstentions et les blancs. De quoi
couper l’envie de s’intéresser à cet art qu’est, parait-il, la
politique. » [15]
Toutefois,
la plus large part des éditos se limite alors à de simples
considérations sur les candidats. Mais surtout, si l’on exclut un
article hostile à Le Pen et un autre favorable à Bayrou, ces éditos ne
parlent que de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy. Et ces articles (à
l’exception d’un seul, critique envers Ségolène Royal : « Je voudrais savoir si tout cela n’est pas juste un façade, une belle façade blanche mais dont le bois est pourri ? » [16])
sont quasiment à sens unique : très ou plutôt favorables à la candidate
socialiste, très ou plutôt défavorables au candidat UMP :
- « Certes,
la candidate socialiste n’est pas un ange, (...) mais en conscience de
cause, et au nom de cette éthique de responsabilité, pour freiner la
politique actuelle qui fonce droit dans le mur (loi Perben II attaquant
les libertés individuelles, loi sur l’immigration, loi sur l’égalité
des chances...) et déconstruit notre système social qui doit être
réformé, mais sans oublier qu’il est un privilège français qu’il faut
garder, rassemblons nous derrière Mme Royal ». [17]
- « En
souhaitant une « France qui se ressemble et qui se rassemble », le
parti socialiste à travers Madame Royal s’impose, pour ceux qui
doutaient, comme un des plus important parti politique français. C’est
avec l’idée d’une France plus juste et donc plus forte que Ségolène
Royal entame le sprint final. C’est pour moi une étape réussie et la
différence avec l’UMP s’est accentuée. C’est une réelle gauche qui va
s’opposer à cette véritable droite. Le fond se différencie profondément
du parti de M Sarkozy, mais la forme également. Ce discours n’a pas été
le sacre de Ségolène Royal, mais la résultante de nombreux débats
participatifs. Les français l’ont dit et elle va le faire avec eux,
comme le suppose leur slogan. C’est une vision nouvelle, qui peut être
critiquable, mais dans un sens qui est courageuse. » [18]
- « Comment
un candidat comme Nicolas Sarkozy peut-il prôner une rupture avec une
situation dont il est en partie responsable, et se lamenter sur un
bilan désastreux qu’il n’assume pas ? Ce n’est pas vraiment ce que
j’appelle une attitude constructive. A l’inverse Ségolène Royal a
aujourd’hui prouvé, malgré toutes les réserves qu’on avait émises à ce
propos, qu’elle savait comment faire avancer la France, avec des
propositions nombreuses, réalistes et modernes. Elle a su surmonter des
différends qui auraient pu se transformer en rancœurs et en
frustrations, par exemple sur le sujet de la constitution européenne, à
propos duquel elle sait trouver des compromis avec ses opposants. Elle
me semble la meilleure alternative à la suprématie de l’UMP et la
solution la plus saine entre l’utopie et l’immobilisme. » [19]
Sans
doute convient-il de se garder de toute extrapolation et ne pas céder
au « déterminisme du pire » ou à l’illusion d’une action concertée.
L’ensemble des documents examinés (articles de presse, blogs, éditos ou
d’autres, comme les caricatures, non étudiés ici...) ne constitue pas
un ensemble idéologique cohérent et ses composantes ne proposent pas
une vision uniforme du monde et des enjeux politiques. Pour autant, il
existe des convergences indéniables - dont on peut d’ailleurs discuter
du caractère délibéré. Cet espace laissé à la libre expression de la
jeunesse ne fait, somme toute, que renforcer la vision dominante dans
les autres médias. En témoignent notamment, les inégales
représentations des opinions politiques, certains commentaires
journalistiques, voire, dans certaines parties du corpus, les appels
quasi-univoques en faveur de certains candidats qui permettent de
dégager une constante récurrente : la minoration, voire le dénigrement,
de la gauche radicale.
Pierre Bruno
[1] « La génération blog en live avec Phosphore et Le Mouv’ », édito du 17-01-2007.
[2] Phosphore, février 2007, p.3.
[3] Phosphore, p.10.
[4] Ibidem
[5] Phosphore, p.10.
[6] Phosphore, p.10.
[7] Phosphore, p.15.
[8] Sondage CSA/Phosphore, réalisé du 15 au 29 nov. 2006.
[9] NB. Le douzième édito est consacré à Nicolas Hulot
[10] L’édito de présentation générale du site signé par Isabelle Delaude et Emmanuel Davidenkoff n’a pas été comptabilisé.
[11] Chloé Riban, 16 ans : « A vos yeux, hommes et femmes politiques, je n’existe pas. », édito du 18-01-2007.
[12] Clarisse Roux-Rosier, 16 ans : « Une campagne ? Des mots... », édito du 25-01-2007
[13] Raphaël Tual, 18 ans : « La Présidentielle au suffrage universel, un leurre ? », édito du 19-01-2007.
[14] Marie, 17 ans : « Bové, MacDo et la cantoche », édito du 31-01-2007.
[15] Céline Diverres, 17 ans : « La politique du bac à sable », édito du 27-01-2007.
[16] Clarisse Roux-Rosier, 16 ans : « Au pays de Sego... », édito du 20-02-2007.
[17] Véra Léon, 17 ans : « Une gauche adroite », édito du 08-02-2007.
[18] Raphaël Tual, 18 ans : « Virage à gauche », édito du 14-02-2007.
[19] Agnès Wahl, 17 ans : « Pas tous pourris », éditob 13-02-2007.
Source : acrimed | action critique médias
http://www.acrimed.org/article.php3?id_article=2590